Notre époque étrange voit des vents furieux nous
agresser sans guère de répit : violences individuelles
et collectives, génocides, dictatures foulant aux pieds
la dignité humaine, corruption éhontée des mœurs
commerciales, infamies du terrorisme érigé en principe
de pouvoir, pillages sans vergogne de la terre... et la
liste n'est pas close de ce qui, autrefois limité,
contenu, se commet maintenant sans frein et à l'échelle
planétaire. Nous pouvons voir là les signes que notre
humanité est en profond déséquilibre et qu'elle a perdu
le sens de son orientation. Et elle l'a perdu parce
qu'elle a perdu la connaissance de ce qu'est l'Homme et
de ce vers quoi, en chacun de nous, Il tend.
C'est alors que le temps vient de réaffirmer et de
remettre au goût du jour les vérités les plus hautes, en
termes les plus clairs : vérités anciennes et toujours
connues, dites de manière tantôt voilée et tantôt plus
explicite ; mais vérités qui ont toujours été à
l'arrière-plan de ce qu'on appelle non seulement les
religions, mais les civilisations ; hautes vérités qui
sont discrètes, presque invisibles comme le fil d'un
rosaire, mais qui traversent les générations et ont
contribué à les tenir à peu près, l'une par rapport à
l'autre, dans une direction cohérente. Et c'est cette
direction qui permettait à la plupart de ne pas
désespérer du monde, et de ne pas désespérer non plus de
leur propre vie.
Réaffirmer de hautes vérités en termes clairs, c'est le
propos du présent travail. A qui s'adresse-t-il ? Bien
que modeste dans ses proportions, il cherche, en
méditant quelques textes d'un maître Soufi et de
quelques autres maîtres de la voie mystique, à dégager
des perspectives qui peuvent intéresser ceux pour qui
les questions spirituelles, ou même philosophiques, ont
quelque intérêt.
Il
fait connaître une certaine idée de la cosmogonie, de la
structure de l'univers (qui est à la fois concret et non
concret), une idée qui ne contredit aucune des
découvertes de la science actuelle, mais pourrait tout
aussi bien les compléter sur un autre plan.
Cependant, ce travail cherche surtout à être utile aux
personnes à qui s'appliquerait la phrase d'Henry Corbin
(Cahier de L'herne, 1981) :
«
Il n'est pas d'expérience mystique qui ne postule une
sérieuse préparation philosophique ».
Mais
l'on devrait ajouter : « pas de n'importe quelle
philosophie », et la philosophie dont il est question
apparaîtra plus clairement, on l'espère, au cours de ces
pages. L'on dira qu'à l'inverse, les exemples
fourmillent d'autodidactes spirituels qui sont parvenus
à la sainteté avec fort peu de lectures. Cela dépend du
chemin que l'on prend. L'on n'a pas besoin d'avoir lu
les Puranas Hindous, les grands Traités
Bouddhiques ou la Bible entière, suivie des Pères de
l'Eglise pour être appelé à la vie mystique. Néanmoins,
les lectures spirituelles constituent très généralement
un guide et une nourriture pour tous les candidats à
cette ascension. Ainsi, le conseil d'Henry Corbin reste
globalement valable pour ceux qui ne suivraient pas une
voie purement dévotionnelle, et ils sont légion. Cette
préparation a d'ailleurs été recommandée par bien des
Soufis et bien des êtres spirituels, en dehors de
l'Islam, et réitérée au cours de l'histoire. Et il y a
tout une partie de l’enseignement de Soufi Inayat
Khan pour ses élèves, qui se fait dans ce sens.
Quoi
qu'il en soit, les pages qui vont suivre sont
particulièrement dédiées aux personnes qui passent par
des expériences similaires aux expériences de lumière,
qu'ont connues beaucoup de leurs prédécesseurs.
Ces
expériences de lumière intérieure ne semblent donc pas
échoir indistinctement à toutes les personnes qui
empruntent le chemin du mysticisme. Il semble qu'on
puisse aller loin, on l'a dit plus haut, vers l'Union
Divine sans les rencontrer ou plutôt sans y prêter
attention. En un sens c'est dommage ; ces personnes sont
ainsi privées d'un progrès, d'un réconfort, d'une joie
très haute et aussi d'une science, qui est dans
l'héritage du genre humain. Car cette science des
lumières fait partie de la science du mysticisme, un mot
très généralement mal compris par l'immense majorité des
gens. Quelle est cette science du mysticisme ? C'est une
science qui est apprise par les expériences intérieures,
mais comprise et assimilée par la réflexion, l'étude et
la méditation subséquentes. Cette science, les Soufis
l'appellent tasawwuf .
Il
est juste aussi de dire que ne pas reconnaître ces
lumières évite peut-être de s'égarer, c'est-à-dire ou
bien de rechercher ces expériences pour elles-mêmes, ou
bien de les craindre et de reculer, surtout lorsque l'on
n'en est pas averti et que l'on manque d'un instructeur
compétent (ce frère ou cette sœur aînés si nécessaires).
Ces expériences ne sont donc pas à rechercher pour
elles-mêmes, pour l'avantage qu'elles seraient censées
apporter, ni surtout si l'on était poussé par une espèce
de curiosité pour les choses occultes, ce qui serait
contraire, et même opposé, à leur nature. Ces chercheurs
d'occultisme s'exposeraient au mieux à errer dans un
labyrinthe de phénomènes dont ils ne verraient pas la
fin, et au pire au déséquilibre nerveux et psychique.
Soufi Inayat Khan nous dit :
« Tout le voyage sur le chemin spirituel est plein de
phénomènes - et chaque pas les augmente.
C'est pourquoi ceux qui s'arrêtent au premier pas,
s'intéressant aux phénomènes, pourraient bien, fascinés
par eux, en rester là. Tandis que ceux qui les voient en
passant et ne sont cependant pas attirés par eux, au
point que leurs pieds soient attachés à cause d'eux,
ceux-là s'en vont en toute sécurité vers la destination
idéale de leur vie. »
Hazrat Inayat Khan, Ghita série n°2 - Riâdat 9.
Pour
beaucoup de chercheurs spirituels, ces expériences
existent donc et sont très généralement spontanées,
c'est-à-dire naturelles. Mais elles peuvent tout aussi
bien guider vers la vérité divine que faire sortir de la
voie qui y mène, on vient de le voir. C'est la raison
pour laquelle, aussi modeste que soit le chemin parcouru
par l'auteur, celui-ci s'est décidé à publier, outre les
textes de maîtres spirituels qu'on va lire, quelques
notes et commentaires personnels simples et candides.
Chemin faisant, références seront donc faites à des
textes divers. Ces textes, on le verra, concordent et se
répondent d'une époque à l'autre et d'une région du
monde à l'autre. Il n'y a rien d'étonnant à cela. Depuis
la lointaine apparition de celui que la
paléo-anthropologie appelle homo sapiens, c'est-à-dire
l'Adam-Eve mythique et sa descendance dans
l'environnement terrestre, l'être humain semble bien
être resté le même, fixé dans son évolution
psycho-physique et sa structure visible et invisible qui
conditionnent ses expériences de toute nature ; tout au
plus peut-on dire qu'il a perfectionné son appareil
mental.
Mais
ses modes de développement spirituel, mystique,
autrement dit de retour à sa Source - Dieu en termes
religieux - conditionnés par sa structure visible et
invisible, sont par le fait même restés identiques, et
de plus restent identiques dans toute l'humanité
d'aujourd'hui, à quelque religion, ethnie, communauté ou
race qu'elle appartienne .
«
En vérité, la bénédiction est pour toute âme, car toute
âme, quelle que soit sa religion ou sa croyance,
appartient à Dieu. »
Soufi Inayat Khan. |