Préface de Michel Guillaume : Pourquoi ce titre ? Ne serait-il pas plus clair de parler d'idéal religieux ? Ces deux termes ne sont-ils pas, au fond, synonymes ? Et d'ailleurs l'auteur, Soufi Hazrat Inayat Khan n'avait-il pas déjà intitulé les conférences qu'il a prononcées sur ce sujet et qui constituent, groupées, le présent volume : « The Unity of Religious Ideals » - « L'unité des Idéaux Religieux » ? Or, ce qui vient à l'esprit de l'Occidental moderne quand on prononce le mot religion, ce ne sont pas ses aspects spirituels, c'est plutôt ce que le temps en a fait depuis son émergence dans l'Histoire. L'Occidental moderne y voit un ensemble de dogmes, de mythes, de coutumes, de rites plus ou moins contraignants, soutenus par des textes sacrés qui sont censés avoir pris origine dans la venue d'un ou plusieurs prophètes. Avec les siècles, cet ensemble en est venu à fédérer une communauté de fidèles partageant les mêmes idées, valeurs, coutumes, etc. Sans doute la perspective est-elle très différente lorsqu'elle est vue par l'adhérent sincère, l'adhérent de base d'une religion. Pour lui, le rôle principal de SA religion est de le sauver de la Perdition, une Perdition qui menace tous ceux qui n'appartiennent pas à SA religion, et au contraire de le mener, lui, au Salut (quel que soit le nom qu'il lui donne dans sa croyance particulière). Et puis, dans chaque religion, il y a des personnes plus profondes, qui vivent leur religion non seulement dans ses aspects extérieurs, dans leurs coutumes et croyances, mais qui la vivent dans leur cœur et leur esprit. Elles y trouvent un réconfort dans les difficultés de la vie, un ensemble de moyens pour s'élever au-dessus d'elles-mêmes et pour vivre leur humanité de manière plus noble et plus satisfaisante pour leur conscience. Et elles y trouvent aussi un bien très précieux, qui est l'idéal de Dieu, un aliment très puissant pour l'aspiration de leur âme. Tel apparaît donc le phénomène religieux, à la fois collectif et individuel, au regard impartial, je dirai humaniste, d'un Occidental moderne quand il regarde les choses du côté le plus favorable : la religion apparaît en fin de compte comme une tentative qui vise à hausser l'humanité au-dessus d'elle-même, un effort de l'homme pour s'élever au-dessus de sa condition égoïste, animale, grâce à l'idéal de Dieu ou de la Vérité. Mais il y a un second point de vue, c'est qu'à la base de la religion, il y a un puissant besoin du cœur humain, un désir très vivace de considérer et d'adorer ce qui dépasse nos limites étroites, nos limites d'êtres humains jetés dans un monde où ils ne sont jamais heureux, quelles que soient les illusions qu'ils chérissent et les tentatives qu'ils font pour se saisir d'une félicité perpétuellement fuyante. Et il en est de même de ses impuissances, de son impossibilité de trouver sa paix dans le monde tel qu'il est et qu'il sera toujours, et il en est de même de toutes ses limitations. Alors, il sent que l'Idéal de Dieu est ce qui le complète, qui l'élève au-dessus de sa condition misérable et tellement imparfaite. Cependant, quelle que soit la face de la religion que nous considérons, elle nous apparaît comme un effort, une tentative qui vient de la terre pour élever l'homme plus haut, et si possible jusqu'à Dieu. Or, telle n'est pas du tout la vision que nous montre Hazrat Inayat Khan. Et c'est cela qui est tout à fait nouveau et même capital pour comprendre le phénomène religieux. Hazrat Inayat RENVERSE COMPLETEMENT LA PERSPECTIVE. La religion ne part pas d'en-bas, du monde objectif, pour nous permettre de nous élever au-dessus de lui, la religion vient constamment d'En-Haut, du monde spirituel. C'est la conséquence d'un déversement perpétuel de lumière, que Hazrat Inayat appelle L'Esprit de Guidance. Une brève introduction est donc nécessaire pour mieux comprendre ce qu'est l'Esprit de Guidance, puisqu'il est d'une certaine façon le fil conducteur qui court à travers tous les chapitres de l'ouvrage. Cet Esprit de Guidance, cette Lumière d'En-Haut nous atteint de deux manières. Il y a d'abord une manière que l'on pourrait appeler centralisée, et ensuite une manière diffuse. Hazrat Inayat compare cette forme centralisée aux rayons du soleil, quand on le regarde en plissant les yeux : le soleil semble émettre plusieurs rayons, certains plus puissants et plus étendus, d'autres moins importants et plus courts. Que sont ces rayons centralisés de l'Esprit de Guidance ? Ce sont des êtres humains arrivés à un haut degré d'évolution (ceux que l'on appelle non seulement les Prophètes mais aussi les Saints et les Maîtres). Et que font-ils ? Ils jouent, dans le domaine spirituel, intérieur de la religion, le rôle d'un gouvernement. Toute la première partie d’un Cahier les concernera. Car encore une fois, ces êtres évolués ne sont pas l'effet de la religion, mais sa cause parmi les hommes, ainsi qu'on le comprendra mieux en lisant ces conférences. Quant à la forme diffuse, l'on pourrait continuer la comparaison et dire que la lumière du soleil apparaît aussi, à d'autres moments, comme voilée, lorsque les nuages cachent le disque solaire, mais non sa lumière. A travers quoi cette lumière nous atteint-elle ? A travers bien des sources ; sources extérieures : une image, ou une parole dite par intention ou par hasard, et qui vient nous donner un avertissement ou la solution d'une difficulté (et l'on pourrait évoquer ici l'anecdote célèbre de Saint-Augustin - qu'il raconte dans ses Confessions - entendant une voix d'enfant lui dire : « prends et lis » et ouvrant donc le livre qu'il tenait, où il découvrit aussitôt la réponse qui décida de sa vocation). Mais parfois cette réponse, ou cette direction nous vient du dedans, sous forme d'inspiration, ou de songe. En fait il n'y a pas de limites aux canaux divers que peut prendre la Guidance divine pour aider un individu. Cependant, il faut justement remarquer que cette dernière forme vient directement guider une personne, alors que la précédente vient aider, à travers l'individu évolué, la collectivité. En conclusion, c'est le renversement de perspective tel que nous l'avons vu plus haut qu'il faut avoir à l'esprit en étudiant les Conférences qui composent ce recueil. Dans cette perspective la religion - répétons-le - n'est ni une entreprise humaine, ni une tentative qui vient de la terre pour s'élever jusqu'à Dieu, à la Vérité. C'est un Influx divin qui, d'En-Haut, atteint constamment les êtres humains et suscite en eux l'esprit religieux, en d'autres termes, les fait réagir pour qu'ils s'élèvent. Donc il faut concevoir que la religion telle qu'elle est comprise d'habitude n'est qu'une des conséquences, une modification sur le plan matériel, terrestre, de cette Lumière, de cet Esprit de Guidance, dont les membres de ce que Hazrat Inayat appelle la Hiérarchie Spirituelle sont comme les rayons. En d'autres termes, pense-t-on que le Christ soit venu pour fabriquer la Chrétienté, ou le Prophète Mohammed pour établir ce qui est devenu, modifié par les hommes, la religion Islamique ? Le christianisme, comme la religion Islamique, sont des modifications humaines. Le Message du Christ et celui de Mohammed sont à chercher à travers ces formes, et pour cela il faut passer outre à l'accessoire et s'adresser à l'essentiel, c'est-à-dire à l'aspect spirituel des religions, qui montreront ainsi leur seule unité profonde et véritable. Donc, nous prierons le lecteur de laisser de côté tout ce que ce mot de « religion » suscitait en lui jusqu'à présent, toutes les réserves, toutes les habitudes de pensée, favorables ou non qu'il peut avoir conçues sur ce vaste et important sujet. Le Message Soufi de la Liberté Spirituelle, tel que l'expose Hazrat Inayat Khan, est une lumière différente qui nous éclaire comme de haut pour mieux comprendre tous les aspects de la vie, y compris sur le plan religieux.
Michel Guillaume
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