Notre civilisation en danger de perdre son âme

Voyant autour de nous l’état de la société et l’universelle confusion des valeurs qui fait que notre civilisation est en danger de perdre son âme, nous avons l’habitude de nous en lamenter. Je prends très généralement part à ces lamentations. Et en y réfléchissant je me dis que j’ai tort. J’ai tort pour un certain nombre de raisons.

D’abord parce que c’est stérile ; cela ne fait qu’augmenter l’atmosphère d’inquiétude et de manque d’espoir qui règne autour de nous. Ensuite parce que cela pollue notre ‘ climat intérieur ‘, et qu’un climat intérieur pollué empêche de regarder nettement les choses et de les juger sainement. En outre, cela nous fait voir la vie comme à travers un brouillard morose, et toute sa beauté s’en trouve masquée. Et puis il y a l’enseignement des sages selon lequel toute destruction est un prélude à une construction nouvelle. Et enfin, à trop nous fixer sur ce qui se passe autour de nous, nous oublions que nous sommes aussi les acteurs dans la destinée générale, et pas seulement ses victimes.

Une des plus grandes leçons qu’est venue nous enseigner Pîr-o-Murshid Inayat Khan est que nous sommes les ouvriers de ce qu’il appelle la reconstruction du monde.

Agir sur nous même

Beaucoup d’âmes de bonne volonté, sur les réseaux sociaux ou par d’autres voies médiatiques, dénoncent, nous exhortent à nous indigner, à pétitionner, à manifester, à protester contre telle ou telle déviance et tel ou tel abus. Il est permis de se demander jusqu’à quel point ces actions qui visent à susciter des mouvements collectifs sont efficaces à long terme. ‘Agir contre’ a toujours un effet limité, à cause de la loi pendulaire universelle : toute action engendre une réaction en règle inverse, laquelle à son tour engendre une réaction contraire, et ainsi de suite, et pas toujours pour le meilleur (voyez la plupart des révolutions qui ont fini dans une tyrannie) ; et tout est sans cesse à recommencer. Ce que seuls les sages ont compris.

Il y a une autre méthode, et c’est celle que nous pouvons apprendre et que nous pouvons appliquer. C’est la méthode de la reconstruction du monde selon l’enseignement soufi de Hazrat Inayat Khan.

Comment pourrons-nous reconstruire le monde alors que nous ne sommes qu’une poignée, demanderez-vous ?

Et puis sur quoi pourrons-nous agir, voyant l’immensité du désordre, où commencer et comment ?

Amis, nous pouvons agir sur nous-mêmes. Et cela pourra avoir un résultat déterminant sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Seulement ce sera une action discrète et qui ne se verra qu’à peine, c’est pourquoi elle ne suscitera pas de réaction contraire. En fait il ne s’agira pas tellement d’agir, mais d’être.

Être stable

Je m’explique : Il s’agit de nous tenir fermement à des valeurs fondamentales. Dans un monde de tromperie commerciale et politique généralisée, il s’agit de rester droits et honnêtes quoi qu’il puisse nous en coûter. Il s’agit de bien choisir pour nous-mêmes le chemin à prendre dans une société qui ne sait plus ce qui est élevé et ce qui est bas, ce qui est droit et ce qui est tordu, ce qui est digne et ce qui est indigne, ce qui fait descendre dans l’échelle de l’humanité et ce qui fait y monter. Il s’agit aussi de nous tenir fermes dans nos choix sans nous laisser influencer par les idées flottant dans l’air du temps, que suivent les gens qui ne pensent ni ne réfléchissent, c’est-à-dire la majorité.

Comment cela pourra-t-il influencer le monde, demanderez-vous ?

Chers amis, le monde a besoin de références fixes (je ne dis pas d’exemples, ce serait prétentieux). La société dans laquelle nous baignons est agitée, tourbillonnante, et son rythme est bien trop rapide pour ne pas épuiser les gens. Imaginez un malheureux que l’on fait tourner sur lui-même comme une toupie ; dès qu’on le lâche, il cherche à se raccrocher à quelque chose ou à quelqu’un de stable. Soyez ce quelqu’un de stable. Soyez ce que j’ai appelé une référence. Ne prétendez pas l’être parce que vous professez les idées du Message, mais soyez cela. Parce que c’est nécessaire, parce que c’est urgent.

Une influence subtile

Il n’est pas indispensable que nous devenions des gens très évolués en spiritualité pour servir le monde de cette façon. La plupart d’entre nous avons trouvé dans le message soufi une direction de vie, un axe qui pour certains a été salvateur ; s’ils s’y tiennent, s’ils progressent dans cette direction, s’ils y persévèrent dans leur vie de tous les jours, cela suffit à faire d’eux ces références dont je parlais. Des références silencieuses. Une personne à laquelle se raccroche un malheureux vertigineux n’a nul besoin de proclamer qu’elle est stable ; elle se tient ferme au milieu du tourbillon ambiant et cela suffit à affermir l’autre.

Revenons à une question précédente : comment ces actions ponctuelles, isolées, individuelles dans le Message pourraient-elles être un levier suffisant pour faire bouger le cours de la destinée collective ?

Chers Amis, nous vivons, nous baignons constamment dans deux mondes, le visible et l’invisible. Relisons la Pensée du 14 Février de la Coupe de Saki :

« L’homme donne forme à son avenir par ses actions ;
 chacune de ses bonnes ou mauvaises actions répand ses vibrations et devient connue dans tout l’univers ».

Ainsi nos actions, mais aussi ce que nous sommes, possèdent deux effets : l’un perceptible par ceux qui nous entourent, l’autre qui leur est imperceptible, mais bien plus efficace. Pourquoi plus efficace ? Parce que c’est dans l’invisible que sont préparées les structures des événements et des situations qui se produiront sur terre. En accord avec la loi des vibrations, les vibrations désordonnées, sans harmonie, produiront des structures sans beauté, aux effets rapides, mais brefs, tandis que les vibrations harmonieuses, se groupant par affinité prépareront des situations et des événements, et même influenceront des individus qui viendront faire leur travail salvateur au moment voulu.

L’Art de la Personnalité

C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement de faire connaître par toutes voies médiatiques le nom et les œuvres de Murshid Inayat Khan, bien que ce soit indispensable. Il faut aussi que son enseignement s’incarne dans quelques-uns, ce qui en est et en sera la justification vivante. La rose se voit et on peut la prendre dans ses mains, mais si l’on n’en respire pas le parfum, la rose ne suscitera pas l’amour dans le cœur de celui qui l’achète. C’est le parfum qui est la magie, c’est le charme de la personnalité, qui est la magie.

Chers amis, les Soufis sont connus dans tout l’Orient par la douceur et la beauté de leur personnalité. Leur sens de l’hospitalité fraternelle, leur constante attention à l’autre, leur calme sans ostentation, leur fermeté souriante dans l’adversité et les tracas de la vie, leur compréhension des points de vue divers, leur amour évident envers ceux qui viennent les voir ne serait-ce qu’une fois, gagnent le cœur des gens.

Nous n’avons nul besoin d’être des saints pour devenir des êtres humains à la ressemblance des Soufis. Nous exercer dans « L’Art de la Personnalité » est le chemin que nous avons à prendre. La méditation, les exercices spirituels ? Ils sont nécessaires, mais s’ils ne portent pas de fruit dans notre comportement, ils n’auront fait que la moitié du travail : la deuxième moitié. La première moitié, c’est le travail sur nous-mêmes pour nous rapprocher de l’humanité véritable, qui est le commencement du chemin vers la divinité dans l’homme.

L’Amour, l’Harmonie et la Beauté

Ce propos est un peu trop grave peut-être. Mais il me semble qu’il répond à une urgence de plus en plus criante ; et que nous devons répondre à cette urgence. Le monde a aujourd’hui soif de trois choses, besoin de trois choses pour se réparer : l’Amour, l’Harmonie et la Beauté. Il me semble que c’est le devoir de ceux d’entre nous qui se sentent concernés de faire leur possible pour développer ces trois qualités dans leur nature, alors que tout le reste du monde (je pèse mes mots) voudrait les trouver chez les autres.

Suresnes, juin 2013