Extraits de la biographie de Hazrat Inayat Khan

Les extraits présentés ici sont consultables en langue anglaise dans la biographie publiée par la fondation Nekbakht et téléchargeable sur son site internet.

L’entrevue avec le Nizâm de Hyderabad

De Bombay, Inayat se rendit à Hyderabad où il ne connaissait personne. Il fit quelques rencontres à qui il confia son but : jouer pour Son Altesse Mir Maheboob Ali Khan, le Nizâm. Approcher le Nizâm était si difficile que ses amis doutèrent de son succès. Mais Inayat ne partageait pas leur pessimisme et garda son projet secret. Six mois durant, il joua, écrivit un livre de musique hindoustanie, MINQAR-e-MUSIQAR, et se fit de fidèles amis.

Un jour, Radja Din Dayal l’amena voir Lukman-ud-Dawla, médecin soufi et commentateur de Rumi, qui fut impressionné par Inayat. Il suggéra de le présenter au Maharadjah Kishan Pershad, Premier Ministre, qui fit aussitôt venir Inayat.

Le maharadjah déprimé

Hyderabad

Le Maharadjah, déprimé, fut transformé par leur échange. Il retrouva joie et espoir en écoutant Inayat parler de la musique sacrée et de ses pouvoirs spirituels selon l’Ordre Chishtia. Inayat expliqua que la musique offre une ivresse supérieure à celle du pouvoir, de la richesse ou du savoir.

Durant leur conversation arriva un message annonçant la visite du Nizâm au camp du Maharadjah. Ce dernier, ravi, invita Inayat à rester. L’arrivée royale, au son des trompes et tambours, fut grandiose : le Nizâm, sur un éléphant orné, entouré de danseurs et courtisans, fut accueilli avec faste. Après la cérémonie de Nazar, le Maharadjah parla d’Inayat avec enthousiasme, éveillant l’intérêt du Nizâm qui voulut l’entendre.

Inayat imposa son influence musicale et spirituelle au Nizâm, qui resta debout trois heures à l’écouter chanter et parler. Le Nizâm, lui-même poète et musicien, fut ému par l’idéal élevé d’Inayat et sentit qu’un secret profond se cachait sous son talent. Il lui demanda le secret de sa musique magique. Inayat répondit que le son est la source la plus haute, mystérieuse, et que sa musique traduit ses émotions profondes, sa religion, visant la perfection plutôt que la gloire.

La rencontre du Nizâm

Cette nuit-là, le Nizâm ne put dormir sans rappeler Inayat. Il voulait l’entendre en privé, loin des courtisans, vêtu simplement et assis au sol. Lorsqu’Inayat chanta une composition sur l’unité divine agissant dans l’univers, le Nizâm fut transporté d’extase. Interrogeant le but d’Inayat, ce dernier répondit qu’il était envoyé par Dieu pour unir les âmes par l’harmonie, non pour simple distraction.

Certains à la cour demandèrent s’il recevrait une charge officielle, mais le Nizâm, surpris, refusa, montrant un respect profond et personnel. Il appela Inayat « Tansen », en hommage au célèbre musicien de la cour d’Akbar, lui offrit une bague d’émeraude et une bourse d’or. Inayat obtint ainsi un accès permanent à la cour.

Cet événement fit sa renommée à travers l’Inde. Nobles et princes d’Hyderabad l’invitèrent, mais sa loyauté envers le Nizâm le fit chanter uniquement pour lui.

L’appel intérieur

Cette entrevue avec le Nizâm révéla à Inayat l’action divine, qu’il ne pouvait partager qu’avec Lui. Voir son désir exaucé si vite aurait convaincu le plus sceptique. Il se souvint qu’à neuf ans, il avait imaginé rencontrer le Nizâm en regardant une carte de l’Inde, et cette vision s’était réalisée.

Durant son séjour, il se fit de nombreux amis, dont Maulana Hashimi, qui lui enseigna le persan et la littérature soufie. Hashimi, grand mystique, sentit qu’Inayat préparait un avenir exceptionnel. Par un ami, Inayat rencontra plusieurs Parsis de Secunderabad, dont certains devinrent ses élèves en musique. Il rencontra Sirdar Destour Hoshang, grand prêtre zoroastrien, impressionné par la musique d’Inayat et son respect pour leurs chants sacrés malgré leur différence de religion. Son séjour lui permit d’apprécier les qualités des musulmans, notamment leur dignité, hospitalité et manières, fruits des enseignements du Prophète.

L’ascèse et l’éveil intérieur

Inayat se réveillait à minuit pour veiller, malgré la fatigue. Son âme ascétique refusait de céder. Il méditait toute la nuit, puis chantait à l’aube, créant une joie spirituelle pour sa journée. À Hyderabad, seul, il passait beaucoup de temps en contemplation. Il sentit sa chambre s’illuminer d’une lumière rayonnante. D’abord pensant qu’elle venait de l’extérieur, un ami sage lui expliqua qu’elle venait de l’intérieur : chaque âme porte cette lumière, cachée jusqu’à la « résurrection » spirituelle, signe d’une nouvelle naissance. Inayat entendait souvent en rêve une voix répétant « Allah ho Akbar » qui le réveillait. Intrigué, il en parla à un ami qui lui dit que cette voix intérieure appelle les âmes prêtes à écouter. Il le conseilla de se réveiller à chaque appel et d’y prêter attention. Inayat se levait alors à chaque appel, méditant pendant des heures.

Une nuit, il vit une figure et un visage très beau. Son ami lui conseilla de chercher un murshid. Inayat n’avait jamais pensé à chercher un guide, car il sentait un Guide intérieur s’éveiller en lui, étonnant parfois son entourage. Cependant, il acceptait volontiers la direction d’un supérieur. Il demanda à son ami d’être son guide, mais celui-ci déclina et proposa de le conduire vers quelqu’un d’autre.

L'ascèse et l'éveil intérieur

La rencontre du murshid

Un jour, Inayat alla avec un ami chez Maulavi Omar, figure spirituelle la plus respectée d’Hyderabad. Il les accueillit chaleureusement, mais refusa d’être son guide, pensant qu’un autre serait plus approprié. La quête d’un guide continua. Ils visitèrent Moulana Khair-ul-Mubin, un sage admiré du Nizâm. Attiré par son humilité, Inayat chercha sa direction, mais il déclina, se disant serviteur d’Inayat. C’est à ce moment-là que Moulana reçut la visite du Maître. Ce dernier entra, paisible et familier, Inayat avait déjà vu son visage en méditation. S’asseyant, il regarda Inayat intensément, ressentant une forte affinité. À la demande de Moulana, il accepta d’initier Inayat immédiatement.

La transformation

Inayat visitait souvent son murshid, vivant à sept miles de chez lui, le considérant comme un roi. Leur lien grandissait, le murshid voyant en lui un but encore inconnu. Sans forcer, il le guidait avec grâce et compassion, appréciant son talent musical et sa personnalité. Inayat s’asseyait devant lui, cœur ouvert, prêt à recevoir inspiration et élévation. De retour chez lui, Inayat méditait longuement sur les paroles reçues.

Ses amis remarquèrent un changement profond dans son discours, ses actions et son attitude. Sa voix et son chant évoluèrent, étonnant le Nizâm et son entourage, qui ne comprenaient pas pourquoi il voulait s’éloigner de la cour. Ce détachement silencieux le poussait à se détourner des attraits mondains. La prospérité de la cour ne l’illusionnait plus; il avait trouvé quelque chose de plus grand : la présence de son murshid, Sayyed Mohammed Abou Hashim Madani. Deux souverains devant lui, l’un terrestre, l’autre spirituel, réduisaient l’importance des biens matériels.

Mourid

Le lien intérieur

Un ami orthodoxe reprocha à Inayat son manque de conformité religieuse, ses habits et ses fréquentations diverses. Le Murshid répondit que, tandis que l’ami voyait l’apparence, lui voyait l’essence d’Inayat, son mourîd bien-aimé. Il rappela que le lien entre Murshid et murîd est une amitié éternelle, sur le chemin de Dieu et de la vérité.

Le murshid, homme simple et ascète d’apparence, adorait la musique et appréciait le talent d’Inayat. Sa maison rayonnait d’amour et culture, accueillant tous avec hospitalité. Un jour, voyant ses chaussures brodées d’or, Inayat se sentit coupable de juger, mais le murshid sourit en disant que les trésors terrestres sont dignes d’être à ses pieds. Il bénissait Inayat en lui disant, « Que Dieu fortifie ta foi », dont il comprit plus tard la valeur : la foi exauce tous les souhaits.

Le départ du murshid

Lorsqu’il tomba malade, Inayat fut profondément attristé. Il se demanda pourquoi même les êtres élevés souffrent. Le murshid répondit que la vie est soumise aux lois naturelles et que plaisir et douleur coexistent, l’un donnant sens à l’autre. La maladie du murshid progressait, mais il supportait la souffrance avec force et patience. Sa présence rayonnait la divinité. Le jour annoncé de son départ arriva; il fit ses adieux, demandant pardon pour ses fautes, bénissant tous avant de se retirer en prière, quittant ce monde dans la paix.

La perte du murshid laissa un vide immense à Inayat. Les visites, la cour, les poètes ne l’attiraient plus. Le sol fertile d’Hyderabad lui semblait désert. Son désir d’isolement et renoncement renaquit. Sans prévenir, il quitta la cour et, au lieu de retourner à Baroda, entama un pèlerinage auprès des saints de l’Inde.

La mission révélée par la perte des médailles

Inayat vécut plusieurs années à Calcutta où il apprit la mort de son père, un choc difficile à exprimer, bien que sa vie devint alors libre de tout devoir sacré envers ses parents. Peu après, il perdit ses médailles, oubliées dans un car et jamais retrouvées malgré ses efforts. Après cette déception, une révélation divine toucha son esprit : « Le temps passé à gagner ce qui n’était pas vraiment à toi n’a pas d’importance; tout ce que tu appelles ‘mien’ te quittera; seul ce que tu appelles ‘moi’, séparé de tout ‘mien’, restera. » Il remercia Dieu pour cette perte, pleurant et disant, « Que tout soit perdu de mon moi imparfait, sauf Ton Être Véritable, yâ Allah! »

Le Brahmane

Un jour, Inayat apprit l’arrivée à Baroda d’un Brahmane réputé voyant, capable de lire pensées, passé, présent et avenir. Cet homme corpulent prenait beaucoup de place et intimidait certains, mais était amical. Inayat vint avec d’autres, mais le Brahmane ne le regarda pas. Quand ils furent seuls, il dit : « Bienvenue, Mahatma! Je vois ta tristesse, mais c’est l’aurore, espère le lever du soleil. Tu iras en Occident, pas maintenant, mais plus tard, pour un grand travail au-delà de l’imagination, sans gain matériel. Rassemble ton courage, les nuages se dissiperont. » Ses yeux pleuraient, joie ou tristesse, il ne put en dire plus.

Inayat atteignit l’état de Samâdhi, qui survient après des années de méditation, mais lui l’atteignait jeune, parfois instantanément. Jouant de la musique, il s’élevait au-dessus du monde terrestre, captivant aussi ses auditeurs qui ressentaient cette élévation, perdus dans un autre monde. Après, il restait en extase tandis qu’eux semblaient confus, changeant leur regard sur lui, qui devenait un mystère.

Médailles

L’injonction du murshid

Il comprit alors pourquoi les médailles avaient disparu : la musique avait accompli son rôle dans sa vie, un nouveau chapitre commençait. Ses chants dévotionnels émurent les gens aux larmes, créant amour, harmonie, rêves, exaltation et extase profonde. Sa carrière en Inde touchait à sa fin. Sa conscience croissante de l’injonction de son Murshid, « Va dans le monde, mon enfant, et harmonise Orient et Occident par ta musique, répands la sagesse du Soufisme à l’étranger », le poussa à quitter l’Inde pour sa mission. Rien ne pouvait plus le retenir.

Son oncle, ayant voyagé en Occident, lui parla des difficultés d’y vivre pour un Oriental et de gagner sa vie. Il demanda : « As-tu un soutien, un endroit où aller? » Inayat répondit : « Oui, mon oncle, mon but est clair, j’ai tout l’appui nécessaire. » Son oncle vit sa détermination. Inayat ajouta : « Le Dieu de tous ne vit pas seulement en Inde, Il est partout; je serai sous Sa Providence, vous ne devez pas vous inquiéter. »